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l'imagination au pouvoir
7 mars 2018

à toutes les jolies boulangères et à leur Pomponette...

Formes pleines.

 

-         Bonsoir, mademoiselle Lecat !

-         Bonsoir monsieur Saccomano, à demain !

-         Je sais que je peux compter sur vous… Pourriez-vous être à la boutique un peu avant l’heure, demain, pour que nous puissions parler de votre stage ?

-         Bien sûr. Mais je peux d’ores et déjà vous dire que j’apprécie le contact avec les clients.

-         Tant mieux ! Allez donc retrouver votre petit chat…

Mélanie sortit de la boulangerie-pâtisserie sourire aux lèvres. Après cette longue journée, elle pourrait enfin câliner la petite boule de poils adoptée six mois plus tôt, alors qu’elle était au chômage. Tout allait pour le mieux, objectivement, même si elle avait dû supporter les marques d’affection entre les clients, durant  toute cette journée dédiée aux amoureux. Mélanie approchait de la quarantaine, mais n’avait jamais rien su construire. Ses parents étaient morts quelques années plus tôt, elle était surtout proche de sa tante, et son grand frère continuait de la protéger. Il n’empêchait que Mélanie avait vécu bien des drames,  avant d’arriver dans cette boulangerie-pâtisserie nommée le « Palais des dames ». Ce stage était sa chance, et elle avait confiance. Elle ne demandait qu’à aider, aimait voir le sourire gourmand des enfants qui venaient réclamer une viennoiserie à leur maman ou, ce jour-là, ces gâteaux en forme de cœur qui avaient tant plu à tout le monde. A vrai dire, c’était la seule chose qui gênait Mélanie. Les couples étaient mignons, chacun attentionné vis-à-vis de l’autre. Mais intérieurement, les voir faisait souffrir Mélanie. Elle se disait que dans cet environnement, avec ses formes pleines, son gros ventre, elle ne pouvait être que crédible… Mais elle avait surtout un très joli sourire. Le contact avec le monde extérieur lui faisait du bien. La boulangerie, la vie en somme. En dix jours, elle avait déjà repéré les habitués, et une petite fille qui, tous les jours, en ressortait avec un chausson aux pommes.

Mélanie, du fait de son ventre proéminent, ne fermait que rarement son manteau, et de toute façon, cette journée hivernale était douce, même dans le nord du pays. Malgré la souffrance intérieure, Mélanie gardait le sourire, contente de sa journée. Elle se disait qu’elle s’était trouvée, que si elle signait même un contrat à durée déterminée, sa vie en serait changée. Le but était de gagner honnêtement sa vie, enfin, à son âge. Elle décida d’aller chez sa tante, qui la comprenait si bien. Alors elle bifurqua dans une petite rue, au trottoir étroit. Un couple se trouvait là, marchant à petits pas, enlacé. Mélanie se mordit la lèvre, au moment de les croiser. Elle dut descendre du trottoir.

-         Oh ! Vous attendez un bébé ! fit l’homme en l’avisant. Je vous en prie, nous allons vous laisser la place. Ne vous mettez pas en danger, madame.

Ces paroles heurtèrent Mélanie de plein fouet. Elle les regarda, crispée. Sa lèvre se mit à saigner, et elle tenta de se reprendre. Surtout, se dit-elle, ne pas être désagréable. Tout va bien. C’est juste un petit con. Tous les couples sont des cons. Ils sont incapables de s’imaginer qu’il y a des célibataires. Une goutte de sang tomba sur son écharpe.

-         Voulez-vous un mouchoir ? demanda la femme, tendant la main vers son petit sac.

-         Non merci, fit brusquement Mélanie, et elle voulut partir, fuir à toutes jambes et retrouver sa tante Eliane et son giron apaisant.

Mais le sang coulant de la lèvre ne suffisait pas. L’homme la regardait sans comprendre.

-         Excusez mon compagnon, il n’y connaît rien. Viens, mon chéri.

Et la femme s’appuya sur le bras de son amoureux. C’en était trop pour Mélanie : elle fondit en larmes, silencieusement, alors que l’homme s’écartait pour la laisser passer. Mais à peine derrière eux, elle tomba littéralement sur un jeune homme, qui soutenait une vieille dame marchant avec une canne.

-         Cuidado[1] ! s’exclama celle-ci, surprise.

Aussitôt, le garçon  passa un bras autour de sa taille. Et, très vite, il retint Mélanie prête à s’étaler. Elle se rétablit, et souffla un « merci ».

-         Excusez ma maman, elle est portugaise. Ça va, maman ?

-         Oui mon garçon.

-         Mais que vous arrive-t-il ? Vous pleurez ? Vous saignez ?

La sollicitude du jeune homme toucha Mélanie. Mais sous le coup de l’émotion, les larmes redoublèrent.

-         Ça ne va pas ? Que vous arrive-t-il ? insista le garçon.

-         Venez avec nous, mademoiselle. Nous n’habitons pas loin. Qu’en penses-tu, Ricardo ?

-         Oui, tu as raison.

-         Non, je… excusez-moi.

Mélanie sortit un mouchoir de son sac. Etre le centre de l’attention la dérangeait. En plus, on l’avait crue enceinte, et cela la blessait profondément. Elle repensait à la petite fille au chausson aux pommes, celle qu’elle avait été, ou qu’elle aurait souhaité avoir. Mélanie voulait cacher son ventre, sa poitrine. Son corps s’était remis à lui faire horreur. Les larmes coulaient le long de ses joues, sans qu’elle parvînt à les retenir.

-         Vous êtes très gentils, mais je… je ne peux pas, articula-t-elle. Mon chat m’attend, ajouta-t-elle sans réfléchir.

-         Nous avons un chat, nous aussi, dit la vieille dame avec un sourire.

-         Maman…

Mais la vieille dame insista :

-         Je viens d’un pays où il y a beaucoup d’entraide. Et j’ai entendu ce qu’on vous a dit, tout à l’heure. Avez-vous vos parents ?

-         Non, reconnut Mélanie. Mais je ne veux pas m’imposer. Si vous y tenez, je suis en stage au « Palais des dames ». Venez donc y acheter quelque chose, demain.

-         Tu entends, Ricardo ? Demain, nous nous y offrirons des palets des dames. Tu veux bien ?

-         Oui. Comment vous appelez-vous, mademoiselle ?

-         Mélanie. Mélanie Lecat.

-         Vous avez un très beau sourire, Mélanie. Peut-être ai-je touché votre cœur ? fit Ricardo.

-         Alors on est peut-être moins… bête au Portugal.

-         Que voulez-vous dire ? demanda la vieille dame.

-         La vraie beauté est peut-être intérieure, mais en France, on s’arrête à mes mensurations hors norme. La fête des amoureux me… me…

Mélanie ne put achever. Elle ne savait si elle devait sourire, ou  pleurer. La mère et le fils la regardaient, avec un air de bonté indicible. La vieille dame posa doucement sa main libre sur le bras de Mélanie.

-         Oui, la vraie beauté est intérieure. Moi aussi, je trouve que la France est un pays de rustres. Enceinte ou pas, vous êtes très belle. Extérieurement et intérieurement. Vous savez vous habiller à votre avantage, ce n’est pas tout le monde.

Son fils souriait.

-         Laissons-la aller, maman. Toi et ton prêchi-prêcha…

-         Ce sont des choses qu’on ne dit pas assez, répartit la vieille dame.

Mélanie retrouva le sourire.

-         Merci madame.

 

Le lendemain matin, en  prenant son poste après avoir parlé avec son patron,  Mélanie eut une idée.

-         Et si nous faisions goûter un pain spécial ? Celui au sésame, ou l’autre aux noix…

-         J’apprécie votre initiative. Pourquoi ne pas essayer, approuva M. Saccomano. Mais je vous laisse le couper en petits morceaux, alors.

-         Avez-vous des petits paniers, ou un contenant quelconque… ? Pour présenter ça joliment…

-         Hélène, vous voulez bien chercher cela ? demanda M. Saccomano à son employée habituelle, qui installait les viennoiseries.

-         Oui, bien sûr. Je vais aussi vous apporter un couteau adapté.

L’initiative plut aussi aux clients. Mélanie, dès le début de sa journée, se demandait si Ricardo et sa mère tiendraient leur promesse. Elle l’avait fait en pensant à eux. Elle choisit le pain qu’elle préférait, celui au sésame.

Ricardo et sa mère vinrent peu avant midi, avec une petite fille aux mèches folles. A l’instigation de Mélanie, ils goûtèrent le pain, et décidèrent d’en acheter ainsi qu’un croissant pour la petite fille, et des palets des dames. La vieille dame avoua qu’elle en raffolait. Ricardo devait avoir la trentaine, Mélanie put mieux voir ses traits, dans la boutique. Et elle eut un soupir, en les voyant repartir avec la petite fille qui mordait déjà dans son croissant. Elle eut envie de leur courir après, mais dut se retenir.

Tous trois revinrent le jour suivant, toujours avec cette petite fille émerveillée devant la vitrine, les gâteaux, les viennoiseries… Et encore tous les autres jours de la semaine. Leur venue réchauffait immanquablement le cœur de Mélanie. Après leur passage, elle irradiait. Et, un matin de mars :

-         Vous avez un très beau sourire, madame, lui déclara un client.

Il n’avait pas la perfection des traits de Ricardo, mais l’homme inspirait bonté et confiance. Mélanie se surprit à ne pas s’offusquer de ce « madame » qui, souvent, la  heurtait, elle l’éternelle demoiselle.

-         Je vous remercie. Voulez-vous goûter à notre pain cinq céréales ? Servez-vous !

-         Merci. Je voudrais simplement une baguette, et… si je peux me permettre… un baiser à la boulangère.

A son regard, Mélanie comprit ce qu’il voulait dire.

-         Pas pendant le service. Revenez ce soir à six heures.

-         Je ferai semblant d’avoir oublié le pain cinq céréales…

L’homme tint parole. Le soir, il eut son baiser, devant le « Palais des dames ». Et il serra la jolie boulangère dans ses bras.

-         Connaissez-vous la magie des baisers ? demanda-t-il avant de desserrer l’étreinte.

-         Je vous demande pardon ?

Mélanie était surprise.

-         J’ai retrouvé ma fille, hier. Elle vous achète une viennoiserie tous les jours, et elle m’a dit que la vendeuse avait un très joli sourire, que vous seriez une dame tout à fait pour moi. Je m’appelle Raphaël, et je suis le frère d’un certain… Ricardo…

-         Mais vous avez une fille !

-         Et alors ? Sa maman m’a quitté il y a deux ans. Je n’ai toujours pas refait ma vie… Avez-vous quelqu’un dans votre vie ?

-         Non, s’entendit répondre Mélanie, et elle ajouta, avec un sourire en coin : Seulement un chaton farceur.

-         Nous aimons les chats, dans ma famille. Mais je n’ai pas d’animal, je suis trop occupé pour en avoir un. Je dois avouer que ça me manque...

Tous deux se regardèrent. Le regard de Mélanie pétilla.

-         Le chat, ou… la femme ?

-         Voici la femme, fit Raphaël en pointant un index sur le nez de Mélanie. Et je prends le chat aussi !

Ils éclatèrent de rire. La glace était définitivement rompue.

Raphaël et Mélanie apprirent à se connaître pendant quelques mois, et puis Mélanie tomba enceinte l’année de ses quarante ans. De jumelles qui se damneraient, quelques années plus tard, pour les gâteaux de la boulangerie-pâtisserie que Mélanie avait reprise. Quant à Ricardo, elle lui dit un jour :

-         Tu sais quoi ? Je crois que tu es mon ange gardien…

-         Et tu as revu ta vision du couple.

-         Je suis devenue bête comme les autres ! Et pourtant, je te remercie…

 

© Claire M. 2018



[1] Attention !

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Commentaires
l'imagination au pouvoir
  • Entrez donc dans l'un des royaumes de l'imagination, la mienne, où vous croiserez êtres fantastiques, âmes en peine, beaucoup de chats... Vous pourrez y trouver d'autres aventures, ou jouer avec moi, les mots... Le continent des lettres est si vaste !
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