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l'imagination au pouvoir
26 juin 2018

famille je vous hai... me

Cœur de mère.

 

C’était un clair matin d’été. Le brouillard se levait peu à peu, laissant l’herbe encore fraîche. J’avais été tiré du lit par le bruit que faisait maman dans la salle de bains. Au même moment, le chat de la maison ronronnait tout près de ma tête. Pour ne pas avoir de réveil trop brutal, j’étais sorti, en pyjama, dans le jardin. L’enfance était passée depuis longtemps, mais j’ai voulu retrouver cette sensation que j’avais à me rouler dans la rosée fraîche. Je me suis allongé dans l’herbe, déboutonnant ma veste de pyjama, et j’ai fermé les yeux. Les senteurs de l’herbe, mes sensations au contact de la nature, me faisait du bien. Et puis…

-         Thoma-as ! Y’a plus d’eau chaude !

Oh non ! J’ai essayé de ne pas rouvrir les yeux.

-         Thomas ! Fais quelque chose, bon sang !

Je me suis levé à regret, en soupirant. Encore une journée au service de ma mère. J’ai maugréé. J’ai trouvé ma mère enveloppée dans mon propre peignoir de bain. J’ai failli voir rouge, me suis repris. Mauvaise façon de commencer la journée. J’ai essayé de dire gentiment que, si elle ne passait pas tant de temps dans la salle de bains, elle aurait davantage d’eau chaude. Quant à mes propres ablutions, je crois que je pouvais aller me  faire voir ailleurs.

-         Arrête tout, maman. Tu vas être obligée d’attendre.

-         Mais j’ai encore du savon sur le corps !

-         Et comment tu faisais, il y a quarante ans ? Je croyais que tu avais été élevée à la dure !

-         Justement, je me rattrape !

Et c’était elle qui voyait rouge !

-         Le ballon d’eau chaude n’est pas assez performant, maman. Et ça, c’est à toi de t’en occuper. Débrouille-toi.

Là-dessus, j’ai quitté la salle de bains. Elle pestait. Je l’entendis terminer à l’eau froide. Je me dis que cela lui ferait les pieds. Maman avait la comprenette difficile. Je suis retourné me coucher.

-         Thomas, et mon petit déjeuner ?

Et ça allait être comme ça toute la journée. Depuis la mort de mon frère, maman passait ses nerfs sur moi. Stéphane me manquait, et mon père était loin. Il la fuyait, et avait pris le prétexte de son travail pour ficher le camp en Suède. Résultat, j’étais seul avec maman. Bien sûr, je pouvais comprendre, mais je me sentais très seul. Stéphane, pourquoi es-tu parti aussi bêtement ? C’est tout juste si maman m’a laissé m’habiller. Toute la matinée à me houspiller. J’aurais voulu accéder au piano, la seule chose qui m’apaisait. A midi, j’ai préparé le repas.

 Depuis la mort de mon frère, je fumais de plus en plus. Il m’a fallu plusieurs cigarettes, après le repas, avant de décider de déguerpir. J’ai pris la voiture et suis allé me promener en forêt. Là, je n’entendais plus que la nature. Maman était à la maison et j’avais éteint mon téléphone portable. Enfin tranquille ! Plus besoin de cigarette. Je me suis assis dans les fougères, et suis resté là un moment, à observer les mouvements de la forêt, écouter les oiseaux, caresser les arbres. C’était bon. Je ne sais pas combien de temps je suis resté là. Finalement je me suis levé, et suis allé récupérer la voiture pour rentrer. Je me sentais mieux.

Une fois à la maison, j’ai trouvé porte close. Maman m’avait pourtant dit qu’elle resterait là toute la journée. Par chance, la fenêtre de ma chambre était restée ouverte. Je suis entré comme un voleur, et ai retrouvé mes clefs, à leur place. Mais où était passée maman ? Je l’ai cherchée, appelée. J’ai rouvert la porte, cherché un message. Rien. Alors j’ai paniqué. Si papa apprenait ça ! J’avais vraiment la trouille. Je suis ressorti en fermant bien tout derrière moi. Et si un voleur l’avait fait ?

Notre jardin n’était pas très loin de la rivière, alors je suis allé la longer, appelant maman, encore et encore, espérant qu’elle était simplement sortie pour se changer les idées. La promenade était agréable. Mais pas de réponse. Enfin, après avoir marché un moment, je me suis retrouvé au pied d’une colline escarpée. Que faire ?

-         Maman ? Maman !

Toujours rien. Alors j’ai commencé à gravir la colline. J’allais rarement par là, et de moins en moins depuis la mort de Stéphane. Il aimait beaucoup cet endroit, s’y réfugiait souvent, dans un arbre. Il pouvait rester longtemps à scruter l’horizon. En y repensant, malgré les larmes qui pointaient, j’ai eu l’idée de faire comme lui. J’ai avisé un marronnier, et suis grimpé sur sa maîtresse branche. En levant les bras, je l’atteignais, et comme je suis déjà de grande taille, cela voulait dire que je pourrais voir loin. Malgré les larmes. Stéphane ! J’ai essuyé mon visage du revers de ma manche. J’ai regardé partout. Et puis un écureuil s’est approché de moi.

-         Pi pi pi ! a-t-il fait.

Le sourire m’est revenu.

-         Pi pi ! ai-je dit. Pi pi pi ?

Je disais n’importe quoi. L’écureuil a sauté sur mon épaule. Je n’ai pas été surpris. Les animaux m’apprécient, je ne sais pas pourquoi. L’écureuil a pointé une patte en direction du sud, et j’ai voulu lui faire confiance. Je l’ai caressé, et il est parti. Je suis descendu du marronnier et ai filé vers le sud. Le soleil était chaud. Cela m’éloignait de la rivière, et me rapprochait du sommet de la colline. J’étais crevé en arrivant en haut, alors je me suis assis par terre. Je me suis repris au bout de quelques minutes, puis me remis debout. Le sud. C’est là, un peu plus loin, que j’ai vu une petite baraque. Elle ne payait pas de mine, et j’ai frappé.

-         Maman ?

Toujours rien. Alors j’ai appuyé sur la clenche. La porte s’est ouverte. Ça sentait mauvais et il faisait sombre, les fenêtres étaient minuscules. Dans l’obscurité, un bras m’a attrapé, et j’ai entendu un rire sardonique. Une voix a dit « prisonnier ! ». Je me suis débattu, ai reculé vers la porte toujours ouverte. La créature et moi nous sommes retrouvés au grand air. C’est alors que je l’ai vue : la créature était hirsute, les yeux globuleux, deux paires de bras dont une qui me serrait par la taille.

-         Manger ! Faim !

J’ai hurlé, ai attrapé l’autre paire de bras et ai fait rentrer le monstre dans la petite maison. Contrairement à ce dernier, je voyais où j’allais. J’avais eu le temps d’apercevoir une table dans une petite cuisine. Je me suis rué là et ai libéré un bras. Je lui ai envoyé un bon direct du gauche en pleine trogne, et ai pu me dégager, en faisant vite. En cherchant un couteau pour me défendre, j’ai buté sur quelque chose.

-         Thomas…

La voix était très faible. Elle a répété mon prénom, puis :

-         Mon fils… Stéphane…

J’essayais de garder la tête froide. Le monstre se relevait. Je lui ai flanqué un coup de pied dans le ventre pour me défendre, et gagner du temps. Il s’est de nouveau étalé. J’ai enfin trouvé quelque chose qui puisse me servir d’arme. J’ai saisi le couteau par le manche, et, très vite, l’ai planté à la hauteur supposée du cœur. Et là… j’ai hurlé. Il n’y a pas eu une goutte de sang.

-         Mon chéri ! Mon chéri ! Oh, Thomas !

C’était maman. Elle est sortie de la baraque en titubant. Elle était en larmes, et moi aussi. Nous sommes rentrés en nous soutenant l’un l’autre.

-         N’aie pas peur, me disait-elle. Je ne suis plus la même depuis… depuis…

-         Je sais. Je te pardonne.

Elle me serrait dans ses bras. Comme le monstre. Mais l’étreinte était moins brutale.

-         Merci, m’a-t-elle encore dit. Tu t’inquiètes pour moi. Ton père…

-         Lui aussi, maman. Tu ne vas pas bien.

-         Non, a-t-elle reconnu. Je voudrais tellement… que tout soit comme avant.

-         Moi aussi. Mais ce n’est pas possible.

Elle a fondu de nouveau en larmes. Nous sommes rentrés, toujours enlacés. Je l’ai mise au lit et lui ai préparé un thé. Dans la soirée, j’ai appelé mon père, et nous avons parlé longtemps. Il est rentré par le premier avion. Ça ne nous a pas rendu Stéphane, mais nous retrouver tous les trois m’a rassuré.

Maman prend des antidépresseurs depuis cette époque. Et le monstre n’est jamais réapparu.

 

© Claire M.

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