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l'imagination au pouvoir
10 mars 2019

L'appel de l'océan

Le chant de la mer.

 

Pensivement, Patricia se mit à arpenter la plage, sa plage, là où elle avait joué, petite, avec son frère. Le temps de l’innocence était loin, à présent, mais toujours, même une fois mariée avec un Français, Patricia était revenue dans son pays natal, retrouver ses parents, sa famille. Le passé, ou peut-être les embruns, se mirent à lui piquer les yeux. Ça y était, elle était tout à fait orpheline, et elle avait fait le déplacement depuis la France, pour retrouver son frère et voir ce qu’ils allaient faire de la maison familiale. Tous deux étaient d’avis de la vendre, même si Hugo était resté au Portugal, mais à Lisbonne plutôt qu’à Figueira da foz. Il avait une femme, des enfants, une belle maison, et un bon métier. Bref, il n’avait aucune envie de bouger même de Lisbonne. Avec l’argent de l’héritage et de la maison, il aurait des projets de voyage en famille. Et Patricia était venue, désormais divorcée, ses grands enfants au moins casés dans leurs métiers, ou en passe de l’être. Et elle, que ferait-elle, de l’argent de la succession, de la maison familiale ? Elle ne le savait pas très bien même si elle souffrait, comme beaucoup de Portugais, de saudade en vivant à l’étranger.

Tout en enfonçant ses pieds dans le sable fin, Patricia admirait l’océan, ses vagues. C’était la fin du printemps, le temps était doux, le ciel dégagé. Elle eut envie de mettre les pieds dans l’eau, regrettant de ne pas avoir son maillot de bain  sur elle. Elle l’avait bien pris à tout hasard, mais il était resté à la maison. Hugo n’avait pas voulu la suivre, il avait l’océan non loin de chez lui toute l’année, et ne souffrait donc pas de cette absence. Patricia s’en voulut presque de rester vivre à Paris, mais ses enfants étaient là-bas… De plus en plus attirée, elle s’approcha peu à peu des vagues, puis prit une inspiration, et s’assit pour enlever ses chaussures.

En démêlant les lacets de ses spartiates, sa main heurta quelques chose presqu’entièrement enfoui dans le sable.

-                     Aïe !

Patricia enleva sa main, où perlait une goutte de sang. Elle la porta à sa bouche, pesta contre les touristes qui ne mettaient rien à la poubelle. Délicatement, en essayant de ne pas se blesser davantage, elle déterra l’objet : c’était une bouteille au goulot fêlé, avec un document à l’intérieur. Patricia eut alors un grand sourire, son âme imaginative, romanesque, se réveillant aussitôt. Elle n’eut pas grand mal à extirper le document de la bouteille, se demandant qui la requérait, et d’où ? Ces considérations l’amusaient. Elle déplia la petite feuille, et il y avait un message. Patricia avait beaucoup lu, mais croyait savoir faire la différence entre la fiction, et la réalité. Elle pensait que ce serait un S.O.S quelconque, perdu dans l’océan et le temps, qu’elle ne sauverait personne. Et pourtant…

« A toi, le lecteur de ce message, si tu veux te reposer, plonge dans la Vague sans tarder. Tu y trouveras l’aventure de ta vie. Sois rassuré, le voyage sera court, et les possibilités de retour sont infinies. » Ce qui surprit le plus Patricia fut de constater que ces lignes étaient écrites en portugais. Elle regarda ses pieds, l’océan, l’horizon.

-                     Et si… Allez, je vais faire ma grande découverte ! Ça me changera les idées…

Et Patricia ne se contenta pas d’enlever ses chaussures. Elle plongea, en petite culotte et soutien-gorge, dans la première vague venue. Elle avait encore un beau corps, pour quelqu’un qui approchait de la cinquantaine, et ses cheveux bruns se dénouèrent, une fois dans l’eau. Elle prit son souffle, et suivit l’indication du message, s’immergeant dans la vague suivante.

La vague sembla se démultiplier, et le courant entraîna Patricia vers le fond. Elle se demanda si elle n’était pas prise dans un maelström, mais très vite, elle se retrouva au fond de l’eau, et entra dans un passage lumineux qui s’ouvrait devant elle. Un dauphin tacheté paraissait être là pour lui souhaiter la bienvenue.

-                     Flip ! Nous avons un visiteur ?

Patricia n’osa pas parler. Rêvait-elle ? Ses doigts sur le nez, elle commençait à n’en plus pouvoir. Un être étranger s’approcha d’elle, alors que le dauphin indiquait, d’une nageoire, la visiteuse.

-                     Ici, vous pouvez respirer normalement, dit l’être à Patricia.

Avec précaution, elle reprit  peu à peu son souffle. Une claire lumière bleue illuminait l’océan, et elle étudia son interlocuteur. Un aileron pointait au-dessus de son dos, et ses pieds étaient pourvus de petites nageoires. Le corps était fuselé, vêtu d’algues aux reflets verts. L’être se déplaçait très facilement en nageant, mais à présent, il marchait sur le plancher de l’océan, au milieu des coquilles occupées par des bernard-l’ermite, des étoiles de mer, des algues sur de petits rochers.

-          Bienvenue, dit-il, je m’appelle Séphélios. Je suis un lointain descendant des Atlantes. Et vous ?

-          Patricia. Patricia Gaivota. Je fais partie d’un peuple qui a abrité de grands navigateurs, Vasco de Gama, Magellan…

-          C’est amusant, fit Séphélios. Mon peuple n’a pas foulé la terre ferme depuis une trentaine de… siècles je crois, et vous, vous allez évoluer au fond des océans…

-          Je croyais que le retour sur le plancher des vaches était possible…

Patricia avait tout de même un peu peur. Et si elle avait fait une sottise, en plongeant ?

-          Rassurez-vous, c’est tout  à fait possible. Vous réapparaitrez sur la plage où vous avez plongé. Et vous pourrez revenir, si le cœur vous en dit.

Et Séphélios regarda Patricia en souriant. Elle le trouva presque séduisant, avec ce beau sourire. La forme de Séphélios n’était humaine qu’en apparence, et elle avait mille questions.

-          J’ai signé pour une aventure, je crois, dit Patricia en souriant elle aussi. Mais où diable suis-je donc ?

-          Au fond des océans.

-          Au large du Portugal ?

-          Oh, vous savez, peu nous importe le pays. Ici, ce serait plutôt une réalité autre…

-          Mais vous parlez portugais.

-          Dans l’Atlantique, c’est fréquent. Je connais l’histoire de votre pays.

-          Ah bon ? Mais comment le savez-vous ?

-          Mon père était un marin portugais sous la direction d’un certain Colombo. En tombant à la mer, il a rencontré sa sirène… et me voilà.

Patricia fut déconcertée.

-          Mais Colombo… était génois. Italien.

-          Mais il est parti de Lisbonne. C’est là, qu’il a affrété ses navires.

-          Mais alors, quel âge avez-vous ?

-          Peu importe. Ici, nous vivons tellement longtemps, que cela confine à l’immortalité.

-          Et les sirènes existent vraiment ?

-          Suivez-moi, invita Séphélios. Je vais vous montrer mon monde.

Curieuse, Patricia accepta. Séphélios s’éleva dans l’eau, et il suggéra de nager, plutôt que de marcher sur le plancher de l’océan.

-          Vous serez sans doute vous aussi plus à l’aise…

Patricia acquiesça, poussa sur ses jambes, et s’aperçut que, là aussi, elle nageait très bien. Séphélios joignit les pieds, qui semblèrent former une queue de poisson, et donna un grand coup de reins. Patricia se mit à le suivre, façon dauphin. Elle était plutôt fine, taillée pour la nage elle aussi, à sa manière. Ils n’eurent pas à nager longtemps, et arrivèrent à quelques navires échoués là depuis quelques siècles. Séphélios se hissa sur le pont, et Patricia en fit autant.

-          Suivez-moi encore. Sur vos pieds. Ce bateau revenait du Brésil, quand il a sombré.

-          Mais où sommes-nous ?

-          Dans une aire lusophone. Vous allez voir. Nous y avons fait quelques installations…

Stupéfaite, Patricia se retrouva, cinq minutes plus tard, dans une pièce pleine de livres. D’autres êtres, à l’image de Séphélios, étaient installés dans de bons fauteuils, à lire ou à consulter des cartes.

-          Vous voyez, c’est une de nos bibliothèques.

-          Mais comment avez-vous fait ? Les livres ne supportent pas l’eau !

-          Je vous laisse découvrir. La civilisation à laquelle j’appartiens sait encore faire des miracles, depuis des millénaires que nous sommes là…

Patricia était fascinée. Elle avait envie de fouiner dans ces livres, mais aussi de parler avec les congénères de Séphélios. Une femme, plus petite qu’elle, aux formes rondes, se leva et vint vers elle, lisant de l’intérêt dans les yeux de Patricia.

-          Bonjour, je suis Tatiana. Je vois que vous êtes nouvelle… Humaine ?

-          Oui. Je m’appelle Patricia.

-          Séphélios aime bien accueillir les nouveaux. Avec son dauphin de compagnie… Si vous n’avez pas peur des fonds marins, je peux vous faire découvrir mon monde mieux que lui.

Tatiana cligna des yeux, et ajouta :

-          Non, pas mon monde. Notre monde. Ceci est une bibliothèque spécialisée lusophone. Nous en avons d’autres, un peu partout dans les océans du globe.

-          Oh, je veux voyager avec vous !

Tatiana et Séphélios jaugèrent Patricia du regard.

-          Elle est mûre, je dirais, fit Séphélios. En plus, notre amie nage comme un poisson.

-          Mais qui sont tous ces gens ?

-          Des professeurs. D’autres  qui veulent se cultiver. Nous sommes très ouverts, expliqua Tatiana. Nos petits naufragés, et nos petits à nous, ont encore tout à apprendre !

-          Il y a donc des écoles dans le fond des océans ?

-          C’est notre monde. Peut-être aussi le vôtre, qui sait ? Si vous êtes portugaise, vous avez un rapport intime avec la mer, dit doucement Séphélios.

-          Oh…

Un chant s’éleva de la poitrine de Patricia, très doux. Un fado entendu quand elle était petite.

-          Vous connaissez le chant de la mer, à ce que je constate. La mer qui prend. Ou qui donne. Votre chant est un très beau chant,  jugea Tatiana.

-          Ça fait longtemps que je n’ai pas chanté. Et je n’en ai guère envie… je viens de perdre ma mère. Seul ce fado me revient… Et il y a cette chanson, È doce morrer no mar[1], qui est si belle et si triste…

-          Votre mère est morte en mer ?

-          Non. D’un cancer. Mais elle aimait beaucoup la musique. Brésilienne, Cap-Verdienne…

-          Vous aurez besoin de notre soutien alors, dit encore Tatiana. Vous pourrez, à tout moment, converser avec nous. Aller, revenir… cette dimension est la vôtre. Qui sait, peut-être même trouverez-vous quelqu’un parmi nous. Regardez ces livres, vous en mourrez d’envie.

-          Et pour connaître ce monde ?

-          Nous avons des genres de villes. Nous dormons dans les coquilles des autres, comme les bernard-l’ermite. Ce ne sont pas les épaves qui manquent. Mais je vous conseille de rentrer chez vous, pour digérer toutes ces nouveautés, conseilla Séphélios. Vous pouvez plonger dans la vague de Figueira da foz.

-          Je… je vais fouiner dans ces bouquins. Et après, je rentrerai chez moi.

-          Attendez. Vous venez de perdre quelqu’un de cher, et je suis, nous sommes, les esprits de la mer, fit Tatiana, et elle vint serrer Patricia dans ses bras, qui en eut un soupir d’aise.

-          Merci, dit-elle quand les deux femmes desserrèrent l’étreinte.

Le sang perla de nouveau sur le doigt de Patricia. Elle comprit qu’elle s’était blessée sur l’aileron de Tatiana.

-          Ce n’est rien. Vous avez votre sang dans la mer. Digne Portugaise ! Allez-y, découvrez cette bibliothèque.

Patricia ne se le fit pas dire deux fois.

Quand elle voulut rentrer chez elle, elle l’indiqua à Tatiana, qui était restée au milieu des livres.

-          Tout est passage ! Allez sur le pont, et  donnez un grand coup de rein pour vous propulser. La vague comprendra.

-          Ne peut-on parler à l’océan ?

-          Si. Mais pour cela, il faut que vous reveniez. Et vous l’apprendrez auprès de nous.

-          Alors je reviendrai.

-          Pour moi aussi ? Vous êtes… belle, dit une voix d’enfant.

Patricia baissa le nez, sur un enfant couvert d’algues.

-          C’est un de mes petits protégés, Martino, expliqua Tatiana. Ce n’est pas une raison suffisante, mon petit poisson. Et Patricia veut d’abord apprendre sur nous.

-          J’ai raté une existence d’humain…

-          Ne t’inquiète pas, je te raconterai. A bientôt, Martino, Tatiana !

-          Au-revoir Patricia !

Patricia eut un sourire, salua rapidement la compagnie, et remonta sur le pont pour suivre les indications de Tatiana. Elle émergea de la vague, et retrouva ses vêtements. Elle se rhabilla, ramassa la bouteille avec le message, et rentra dans la maison familiale, où elle était seule. Elle prit alors une douche rapide, puis attrapa son téléphone.

-          Hugo, je voudrais te parler.

-          Qu’y a-t-il ? Où es-tu ?

-          A la maison. Je voudrais la garder.

-          Quoi ? Mais…

-          C’est mon seul lien avec le Portugal. Tu peux comprendre, non ?

-          Oui… oui, bien sûr. Mais nous sommes deux, là-dessus. La nuit porte conseil, tu sais. Attends demain, avant de prendre une telle décision.

Patricia jugea le conseil raisonnable, et ne discuta pas. Mais le lendemain matin, dès la première heure elle enfila son maillot de bain, prit des affaires de plage, et fila  vers l’océan. Il fallait qu’elle en ait le cœur net.

Flip l’accueillit avec l’un de ses compagnons, et les deux dauphins la menèrent à  Séphélios.

-          Patricia ! Vous êtes revenue !

-          Oh, ce n’était donc pas un rêve ! Je vais découvrir votre monde ! Où sont Tatiana, Martino, tous les autres ? Menez-moi où vous voudrez, Séphélios !

Ce matin-là, Patricia découvrit un cimetière marin, composé d’une flotte espagnole. Elle erra entre les coques de bateaux, s’amusa à les découvrir. Il y avait là une petite école, avec des enfants de la mer, où elle fit sensation, avec son maillot de bain vert-doré. Martino était là, alors Patricia supposa que Tatiana n’était pas loin. Mais elle eut peur d’être trop longtemps absente du plancher des vaches, alors elle préféra attraper la vague, comme on prend un autobus, et une fois de nouveau sur la plage, elle consulta l’heure sur son téléphone portable. Elle avait plongé à neuf heures et quart, et... il était neuf heures vinggt.

-          Ce n’est pas possible ! Il faut que… oh, et puis zut !

Et Patricia replongea, rien que pour demander comment s’écoulait le temps au fond de l’océan.

-          Le temps ? Qu’est-ce que c’est, au juste ? fit Séphélios.

-          Mais alors… je suis hors du temps ?

-          Probablement.

Et Séphélios ajouta malicieusement :

-          Cela fait aussi partie de votre découverte…

Patricia sourit. Elle avait compris.

 

-          Hugo, je ne change pas d’avis. Je te donnerai la moitié de la valeur de la maison, et je la garde. Peut-être même que je vais carrément me réinstaller au Portugal.

-          Ah bon ? Mais ton boulot ?

-          J’en changerai. Je peux donner des cours de français, ou d’anglais. Voire d’autre chose, de natation par exemple.

-          C’est vrai, tu as toujours aimé nager.

-          La proximité de l’océan est un atout non négligeable, pour moi. A Paris, il faut prendre le train ou la voiture… Et je me rapprocherais de vous. Ah oui, et je pourrais écrire, traduire…

-          Je vois que c’est tout réfléchi !

Mais Hugo avait un grand sourire.

-          Tu me fais plaisir, petite sœur. Et la maison ne sera pas perdue. Dans le fond, ce n’est pas plus mal.

-          Et vous serez les bienvenus. Alors tu ne  m’en veux pas ?

-          Comment le pourrais-je ? Sans papa ni maman, que me reste-t-il ? Non, c’est toi qui as raison, en fin de compte… Et tu as téléphoné à Clara et à Lucia ?

-          Oui. Elles sont d’accord. L’été, nous pourrions être tous ensemble…

 

-          Maman, qu’est-ce que tu fais ?

Clara tapa sur l’épaule de sa mère, qui chantait, qui sait, un fado ou le chant des dauphins, tout en contemplant l’océan.

-          Je chante le chant de la mer. Des Atlantes, des dauphins, des baleines… Je me sens en contact avec eux. Tous ces gens que l’océan  a pris…

-          C’est beau, même si je ne comprends pas…

-          Tu es à moitié française, tu ne peux pas comprendre. Mais ça ne fait rien. Excuse-moi.

Patricia se remit à chanter, quelque chose de très ancien, dans la langue des Atlantes qu’elle avait apprise avec Tatiana, et tous ses amis du fond des mers. Clara la regardait, fascinée. Les vagues semblaient lui obéir, renvoyant le son, et Flip, ou peut-être l’un de ses descendants, ondulait encore sous les ondes… Patricia sentait toutes ces forces, qui lui répondaient, elle le sentait au plus profond de son être. Ses cheveux, désormais gris, flottaient dans la brise.

-          Qu’est-ce que c’est beau ! dit encore Clara. Où as-tu entendu cela ?

-          En… nageant dans l’océan.

-          Moi aussi je viens ici tous les étés. Sylvain et les enfants aussi. Mais je ne sais pas ce que tu éprouves, dans l’eau.

-          Il faut être ouvert à… autre chose. Un jour, peut-être te dirais-je mon secret…

-          Pourquoi, tu es une véritable sirène ?

Patricia cligna de l’œil.

-          Qui sait ?

 

© Claire M. 2019



[1] Il est doux de mourir en mer

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Commentaires
l'imagination au pouvoir
  • Entrez donc dans l'un des royaumes de l'imagination, la mienne, où vous croiserez êtres fantastiques, âmes en peine, beaucoup de chats... Vous pourrez y trouver d'autres aventures, ou jouer avec moi, les mots... Le continent des lettres est si vaste !
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