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l'imagination au pouvoir
30 juillet 2019

idée de vacances en Sicile...

Madre nostrum.

 

-          Madonnina mia ! s’exclama Massimo. Arrière toute, Stefano ! Le volcan s’est réveillé !

-          On retourne à Messine ? fit l’interpellé.

-          Evidemment ! Désolé messieurs-dames, mais dans ces conditions, l’île n’est pas visitable. Cela dit, vous pouvez admirer ces volutes de fumée…

-          C’est magnifique, fit, en anglais, une dame entre deux âges.

Son fils se mit à filmer l’éruption, fasciné. Dans l’épais nuage de fumée, il crut distinguer quelque chose, eut un geste saccadé, et pesta.

-          C’est vrai que c’est beau, acquiesça un troisième touriste. Mais bon, tout cela va tomber dans la mer…

-          Nous ne sommes pas des kamikazes, déclara Massimo. Vous vouliez voir les îles Eoliennes, mais je ne le ferai pas au détriment de votre sécurité. Stefano, magne-toi ! ajouta-t-il en italien.

-          Oui oui !

Le petit bateau vira de bord, au milieu du tonnerre émis par le volcan.

-          Dommage… mais c’est follement romantique, fit une jeune Française à son compagnon, qui la saisit par la taille, et les trois Anglais détournèrent leurs regards.

De toute façon, le fils de la dame entre deux âges filmait toujours : le nuage de fumée, la lave et le magma qui s’écoulaient de manière fluide, vers la belle mer Tyrrhénienne, d’un bleu parfait et qui se  mettait à bouillir au contact du feu de la Terre.

-          Eeeh ! mais il y a quelqu’un ! s’exclama-t-il tout à coup.

-          Pardon ? réagit aussitôt Stefano, sans lâcher la barre, et il attrapa ses jumelles.

-          Stefano, bon sang !!

-          Tiens-moi la barre, au lieu de râler, Massimo ! Si quelqu’un est en danger, je ne peux pas ne pas réagir !

-          Mais je…

-          Prends cette barre, et garde le cap vers Messine ! Dépêche-toi !

Et Stefano porta ses jumelles à ses yeux. Ce qu’il vit le stupéfia : au milieu de l’énorme panache de fumée se trouvait une personne un peu corpulente, mais elle ne courait pas, non, elle descendait tranquillement le long des pentes du volcan, cernée par la lave et le magma. Stefano jura, ne sachant que faire.

-          Alors ? demanda Massimo.

-          Il y a une personne qui se prend pour Empédocle, sur le Stromboli. Mais nous ne pouvons pas affronter l’éruption, nous… Dieu ait son âme !

-          Oh mon Dieu !

-          Faites quelque chose ! fit le jeune homme qui filmait, en anglais. Elle va se tuer !

-          Je suis désolé, se reprit Stefano. C’est trop dangereux, et je ne veux pas tuer de touristes. On ne pourrait même pas accoster, de toute façon, l’eau est bouillante.

Les cinq touristes se regardèrent, une boule dans la gorge.

-          Passe-moi tes jumelles.

Stefano les donna à son acolyte, et Massimo se mit à scruter le volcan. Il fut tout aussi stupéfait du spectacle : à présent, la personne repérée glissait sur la lave, à son rythme, vers la mer, comme sur un toboggan.

-          Que se passe-t-il ? demanda le jeune Français.

-          C’est insensé ! lança Massimo en italien.

-          Mais expliquez-vous !

-          Tiens Stefano, vise-moi ça… fit Massimo en rendant les jumelles, et il expliqua la situation aux touristes.

Pendant ce temps, Stefano suivait le parcours du personnage qui dévalait vers la mer, ne semblant ressentir aucune gêne. Enfin, il atteignit l’eau, porta ses doigts à sa bouche et s’éloigna de l’île à la nage, alors que la mer bouillonnait autour de lui.

-          On porte secours ! décida alors le jeune Français. Je peux plonger en slip, si…

Massimo lui intima, du geste, de se rasseoir.

-          C’est très bizarre, dit Stefano.

-          By Jove ! fit le jeune Anglais. Reprenez vos jumelles, monsieur ! C’est une femme qui arrive sur le dos d’un dauphin !

Stefano obéit, de plus en plus dépassé et, à vrai dire, Massimo l’était autant que lui. La femme approchait, et n’avait pas l’air commode. Stefano lâcha ses jumelles, et se porta vers elle.

-          Vous êtes très imprudente, madame, fit l’Anglais, une nuance de cynisme dans la voix, quand le dauphin et le petit bateau se rencontrèrent.

-          Non pas, mon fils, déclara la femme. C’est vous, qui êtes imprudent ! Où allez-vous ?

-          A Messine, répondit Massimo. Stefano, je peux lui dire de monter ?

L’autre haussa les épaules.

-          Tu sais que ce bateau supporte une dizaine de personnes. Nous sommes sept.

-          Huit, corrigea la femme. Ce sera plus rapide. Il faut absolument que je voie les autorités !

Tous la regardèrent, surpris, et la détaillèrent. Elle avait la peau foncée, et cachait mal son opulente poitrine, sous sa tunique. Ses cheveux en pétard la faisaient paraître encore plus négligée qu’elle n’était. Mais ce qui les étonna le plus, c’était ses pieds, nus, des pieds parfaits, pas du tout ceux de quelqu’un qui venait de marcher sur le feu. Et elle tenait à la main un sachet en plastique et un préservatif usagé, ce qui fit pouffer de rire le couple français. La femme les regarda d’une drôle de façon, et ils se reprirent. Elle congédia le dauphin du regard, et le petit bateau fila sur les eaux bleues, alors que résonnait le fracas du volcan.

-          Et d’où venez-vous, madame ? demanda Massimo sur le ton de la conversation.

-          De la Terre. En fait, je suis la Terre. Votre mère à tous. Et regardez ce que je trouve dans mes entrailles !!

Et le sachet en plastique et le préservatif atterrirent sur le plancher du bateau. « Shocking », murmura la dame entre deux âges, alors que son fils haussait les épaules.

-          Vous trouvez ça normal, vous ?! explosa la femme. Sur une si belle terre que celle de l’Italie, ses mers ?!

Personne n’osa répondre. Pour reprendre contenance, le troisième Anglais voulut bourrer sa pipe, mais en fut empêché.

-          Vous allez mettre vos saloperies partout !

Et la femme lui arracha la pipe des mains. Les trois Anglais la regardèrent, furieux d’une telle outrecuidance. Le plus jeune en oublia son téléphone qui filmait toujours.

-          Votre anglais est excellent, osa-t-il.

-          Je parle toutes les langues.

-          Le français aussi ? tenta la jeune Française.

-          Bien sûr. Vous êtes tous mes enfants. Mais là, vous dépassez les bornes !

-          Nous n’avons rien fait, nous, fit remarquer son compagnon. Nous voulions seulement visiter les îles Eoliennes.

-          Rendez-moi ma pipe.

-          Vous n’êtes qu’un bébé, monsieur. Vous trouvez tous les subterfuges pour ne pas oublier vos tétées de quand vous étiez enfant !

L’Anglaise regarda son époux en pouffant.

-          Embrasse-moi, plutôt.

-          Ma chère, c’est très inconvenant…

Massimo, quant à lui, riait franchement de l’échange, de la situation.

-          Mais en fait, qui êtes-vous ? demanda le jeune Français.

-          Votre mère la Terre. On m’appelle Gaïa.

-          Vous vous fichez de nous.

-          Pas du tout. Regardez, jeune homme.

Gaïa fit une passe, et prit la forme de la mère du jeune homme. Il la regarda, épaté, et elle dit encore :

-          Je n’ai pas fini.

Nouvelle passe, et elle prit l’apparence de sa belle-mère.

-          Maman ! s’écria la jeune Française.

-          Je cherche le truc, fit l’Anglais, flegmatique.

-          Ces humains, grommela Gaïa, et elle s’assit. Me croyez-vous ?

-          Moi, je vous crois, dit Massimo. Vous êtes une vraie mamma.

Gaïa esquissa un sourire, ramassa les détritus qu’elle avait mis sur le bateau. Le silence s’installa, au grand dam de Massimo qui, en tant que guide, était censé expliquer ce qu’ils voyaient. Mais la situation dépassait son entendement. Ce fut quand même lui qui reprit la discussion.

-          Et si vous nous parliez de Charybde et Scylla, dans le détroit de Messine ? proposa-t-il à Gaïa.

-          Excellente idée, approuva-t-elle, et elle se mit à raconter l’histoire d’Ulysse dans ce détroit, jusqu’à ce qu’ils arrivent à destination.

Une fois à Messine, tous débarquèrent, à l’exception de Stefano, qui restait dans son bateau. Massimo aida Gaïa à descendre, puis alla faire connaître l’éruption du Stromboli, afin d’éviter les visites, avec elle. A la suite de quoi il mena Gaïa à la mairie, où il demanda à voir monsieur le maire, indiquant que la dame qui l’accompagnait voulait lui parler. En plus du sac plastique et du préservatif, Gaïa avait ramassé, au port, quelques mégots, des élastiques, une canette de soda vide.

-          Qui êtes-vous, madame, une femme de ménage ? Ou êtes-vous immigrée ?

-          Mon pays est partout, madame. Je suis la Terre, nom d’un chien !

-          Italienne, fit Massimo avec un sourire. Le pays des mamme !

-          Pardon, excusez-moi Massimo, fit la secrétaire. Monsieur le maire est justement dans son bureau, vous avez de la chance… Allez-y, je vous en prie.

Et Massimo et Gaïa passèrent la lourde porte du bureau du maire. Ce dernier se leva à leur arrivée. Il avait un type italien très prononcé, des lunettes fines sur le nez, et ne semblait pas très vieux, entre quarante-cinq  et cinquante ans.

-          Salut Cateno ! Figure-toi qu’il nous en est arrivé une bien bonne, au milieu des îles Eoliennes… Je te présente Gaïa, notre mère à tous.

-          Tu veux dire ta mère ? fit le maire en cachant mal un sourire ironique. Tu ne me l’avais encore jamais présentée…

-          Tu te méprends. Elle peut être aussi ta mère. Gaïa, montrez-lui…

Sourire aux lèvres, Gaïa prit l’apparence de la mère de Cateno, qui en resta bouche bée.

-          Je peux aussi prendre l’aspect de la mère de Massimo… Je suis toutes les femmes.

Le maire se rassit, s’éventa d’un papier qui traînait sur son bureau encombré.

-          Je vais te raconter ce qu’il s’est passé tout à l’heure sur le Stromboli...

Le récit de Massimo fit rire Gaïa, et Cateno ouvrait de grands yeux.

-          Mais pourquoi ?

-          Pour ça ! répondit Gaïa en brandissant ses détritus. C’est un scandale !

-          Vous ne croyez pas que le plus simple serait de mettre tout ça à la poubelle ? rétorqua Cateno, un peu dégoûté. Et ne les mettez pas sur mes papiers !

-          Mais je ne demande pas mieux que de mettre ces… ces machins à la poubelle ! Ce sont vos administrés, qui ne le font pas ! On me souille ma terre, on m’étouffe ! J’ai aussi vu le septième continent, sur le globe ! Vous trouvez ça normal, vous ?!

-          Euh… non, certes. Mais Trump…

-          Au diable cette andouille ! s’énerva Gaïa, tandis que Massimo étouffait un rire. Nettoyez-moi, nom d’une pipe ! Je  suffoque, vous dis-je ! ! J’en suis à devoir déclencher des éruptions, pour vous faire réagir !

-          Je fais ce que je peux, Gaïa, mais l’impéritie italienne est telle… et je ne suis que maire de Messine. C’est à Rome, à New York, qu’il faut aller !

-          Je veux réveiller les consciences ! Et tous les volcans s’il le faut ! D’autres phénomènes telluriques, et jusqu’à ce que vous compreniez !

-          Les politiques ont les mains liées. Et par pitié, reprenez votre forme d’origine, j’ai l’impression de me faire enguirlander comme quand j’étais petit ! Je n’y suis pour rien, Gaïa, en plus j’ai la Mafia sur le dos !

-          Je te comprends, mon vieux… mais un petit arrêté municipal ne ferait pas de mal, tu ne crois pas ?

-          Les touristes sont des cons, reprit Gaïa. Ils filment, fument, et oublient l’essentiel. La nature n’a pas besoin de ça !

-          Ce n’est pas une raison pour tout détruire, représenta Cateno, essayant de se reprendre. Mais Gaïa, je vous en supplie…

-          Ça va, ça va.

Et Gaïa reprit sa forme originelle. Le maire respira alors plus librement, et Massimo réprima de nouveau son rire. Cateno desserra encore sa cravate.

-          Et si vous alliez en Suède ? De là-bas, vous devez pouvoir intervenir…

-          Ah ? C’est une bonne idée.

-          Je viendrais bien avec toi, maman, osa Massimo avec un petit sourire.

-          Ce n’est pas parce que le Stromboli est en éruption, que tu dois fiche le camp, le tança Cateno. On en a vu d’autres.

-          Ça, ça dépend de l’énervement de Gaïa...

-          J’ai l’habitude de gérer les fortes personnalités, tenta Cateno.

-          Même celle de notre mère la Terre ?

Le maire soupira.

-          Que suis-je censé faire, Massimo ?

-          A ton niveau, un arrêté municipal pour rappeler l’existence des poubelles, par exemple.

-          Et quid du plastique ? intervint Gaïa.

-          C’est dans les tuyaux en haut lieu, reconnut Cateno. Il y a, ou il va y avoir des directives européennes pour cesser de produire du plastique.

-          Mais ce sont des directives mondiales, qu’il faut ! réagit aussitôt Gaïa.

-          Une chose après l’autre.

-          Je n’ai pas le temps ! Je vous dis que j’étouffe !

-          Vous êtes immortelle, non ?

-          Je suis peut-être immortelle, mais ça ne vous empêche pas de m’oublier ! Ces hommes, nom d’un chien !! Pendant ce temps-là, je me dérègle, entendez-vous ?!

Massimo et Cateno se regardèrent.

-          Il faudrait arrêter le massacre, conclut Massimo, et Cateno hocha la tête. Mais :

-          Va donc en parler à Trump…

-          Je ne suis entourée que de couillons !!

Gaïa se leva, mit ses détritus dans la poubelle de la pièce, et ouvrit la porte, qu’elle avait bien l’intention de claquer derrière elle. Un flash l’en empêcha.

-          Gaïa ! Maman !

Tout ébaubie, Gaïa se trouva face à une masse grouillante de journalistes, menée par le jeune Anglais qui avait filmé son arrivée.

-          Magnifique éruption !

-          Comment avez-vous pu sortir de là sans vous brûler ?

-          Nous voulons tout savoir ! Une interview, s’il vous plaît !

-          Mais quels couillons !!

Gaïa fendit la foule, sous le regard médusé de tous, y compris de Massimo et du maire, qui s’étaient levés.

-          Une déclaration, monsieur le maire ?

-          Je n’ai rien à dire, la cause est juste. Maintenant, débrouillez-vous !

-          Une action d’éclat ! hurla Gaïa en quittant la mairie.

Quelques heures plus tard, la Sicile tremblait, tandis que Gaïa, atterrée, parcourait le Groenland, pleurant au milieu de quelques phoques, alors qu’une partie de la banquise se disloquait peu à peu.

-          Mère, on va tous t’aider, lui dit un petit eskimo, emmitouflé dans ses vêtements.

-          Mène-moi chez ce Trump, mon petit.

-          Qui ça, mère ?

Gaïa eut un gros soupir. Elle se jeta dans la mer et se mit à nager vers le sud, à tout hasard.

De temps en temps, on peut l’apercevoir sur le dos des baleines, ou alors elle se rapproche des côtes. Seuls les  enfants reconnaissent alors la mère du monde, et la saluent sans arrière-pensée ni sensationnalisme.

-          Allons, se dit Gaïa, un jour qu’elle était de nouveau en Méditerranée, je vais aller voir si je ne peux pas retenter le coup par le Vésuve…

 

© Claire M., 2019

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Commentaires
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  • Entrez donc dans l'un des royaumes de l'imagination, la mienne, où vous croiserez êtres fantastiques, âmes en peine, beaucoup de chats... Vous pourrez y trouver d'autres aventures, ou jouer avec moi, les mots... Le continent des lettres est si vaste !
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