Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
l'imagination au pouvoir
23 août 2019

à tous les gros minets et petites minettes

Gestes félins.

 

-          A ce midi, maman ! lança Pierre, le petit dernier.

-          Tu es sûr que tu ne veux pas que je t’accompagne à l’école, mon grand ?

-          Je veux faire comme mes sœurs ! Je viens d’avoir dix ans !

-          Alors à ce midi, mon Pierrot.

Et Louise embrassa son fils sur les deux joues, puis sur les cheveux, aussi noirs que les siens. Elle le regarda partir,  une petite boule dans la gorge, et resta dans l’embrasure de la porte, pensive. Oui, ses enfants grandissaient…

-          J’y vais moi aussi, ma chérie.

-          Et tu vas rentrer très tard, comme d’habitude.

C’était une évidence, et Thibault en était désolé. Il effleura les lèvres de sa femme.

-          Tu n’as pas oublié ton Tupperware ?

-          Oh non ! Ne serait-ce que pour faire bisquer les collègues… C’est seulement dommage que je sois obligé de le manger en vingt minutes… mais je n’y peux rien. Tu es une perle, ma Louise.

Elle eut un pauvre sourire.

-          Tu es fatiguée ?

-          Oui. Je me sens quand même obligée de me lever en même temps que toi et les enfants. C’est peut-être idiot, mais c’est ainsi. Et puis j’ai du travail, moi aussi.

-          Je sais. Tu es une sainte. Mais ça me rassure, que tu puisses travailler à la maison. Nos enfants s’en trouvent bien.

-          Et Morphée aussi.

-          Oui, le roi de la sieste ! Tu devrais peut-être l’imiter !

-          Ici en France, la sieste n’est pas tellement dans les mœurs…

-          Mais dans le pays des chats, si !

-          Tu es mignon, mon Titi.

Ils s’enlacèrent, se firent un vrai baiser, puis Thibault partit à son tour. Louise le regarda partir, lui fit un signe de la main, et rentra. Avant de se mettre à son ordinateur, elle alla câliner Morphée, le beau siamois de la maison. Elle l’avait recueilli quelques années plus tôt, alors qu’il traînait dans le quartier, l’âme en peine. A l’époque, c’était un chat efflanqué, et elle avait pris l’habitude de le nourrir. Et peu à peu, il s’était imposé chez les Lefort. C’était, comme beaucoup de siamois, un chat bavard, et très affectueux. En particulier, Pierre l’adorait. De toute façon, Morphée, avec l’âge, ne sortait plus jamais de son jardin, où il pouvait quand même faire valoir ses talents de prédateur. Ses siestes étaient donc parfaitement méritées… Louise le sentait frémissant de bonheur, sous sa main. Enfin, rassérénée, elle s’installa dans son bureau, dans cette grande maison, et reprit sa traduction. Bien vite, Morphée vint la rejoindre, pour prendre son poste sur un coussin placé dans un rayon de soleil, où il aimait dormir.

Au début, Louise baillait, se levait régulièrement pour consulter le dictionnaire des synonymes, voulant faire une traduction claire et précise. De plus en plus, elle avait du mal à se concentrer, ce matin-là. Et Pierre qui était parti à l’école tout seul… En vraie mère-poule, elle avait un peu peur. Deux fois, elle alla se préparer un café, à son goût, bien fort. Elle ne se trouvait guère efficace, cette fois-là. Et elle vit revenir son fils avec soulagement, même si la course commençait. Elle devait en effet le faire manger lui, avant ses filles, qui étaient au collège et au lycée et arrivaient plus tard. Souvent, elle préférait déjeuner avec Pierre, et réchauffait ensuite le repas pour Ambre et Jade.

Ce jour-là, la plus jeune, Jade, était excitée, parlait beaucoup de ses amis et, en particulier, de ce garçon qui lui tournait autour, Axel. Louise fronçait les sourcils, pas dupe des manœuvres de ce gamin. Jade se jouait de lui, en plus. Elle essaya de raisonner sa fille, pensant qu’elle comprendrait, mais elle et sa sœur étaient en pleine adolescence…

Une fois de nouveau seule, Louise s’affala dans le canapé, et se prit la tête entre les mains.

-          Mon Dieu… les enfants grandissent trop vite, soupira-t-elle. Et je me croyais vraiment en meilleure forme.

Elle essaya de respirer, pensant à son mari. Elle se souvint de ce qu’il lui avait dit le matin même, eut un petit sourire, et se décida à faire une sieste. Dans le canapé. «Au pays des chats », pensa-t-elle, et elle ferma les yeux.

-          Miaou ?

Morphée sauta sur sa maîtresse, étonné. Elle ne faisait pas souvent la sieste. Il miaulait comme s’il demandait si elle dormait, et Louise allongea le bras pour le caresser. Le chat s’installa douillettement dans son giron, se laissa faire, en eut un ronron de bonheur. Ils éprouvèrent un moment de béatitude, ainsi l’un sur l’autre. Par moments, Louise ouvrait les yeux, pour admirer son chat. Il se mit à lui lécher le bout des doigts, puis s’approcha de son cou.

-          Morphée ! Cuidado !

Morphée miaula comme pour s’excuser, posa une patte sur l’épaule de sa maîtresse. Il vibrait encore, et Louise l’avait dans le creux de son bras.

-          C’est si bon… murmura-t-elle, et elle referma les yeux. Gracias, Morphée…

-          Miaou-ou…

L e chat se souleva un peu, et mit sa patte avant droite sur le front de Louise.

-          Aïe ! Morphée, qu’est-ce qui te prend ?!

Alors Louise entendit une petite voix.

-          Je ne voulais pas te faire mal… je voulais juste te faire un petit cadeau.

Elle porta une main à son front, sentit un peu de sang, alors elle se leva.

-          Miaou ! fit Morphée sur un ton désolé, et il s’installa dans le canapé, s’emballant dans sa queue.

Louise fila à la salle de bains, de plus en plus étonnée, et vit un tout petit coup de griffe, entre les deux yeux. Il y avait quelques gouttes de sang, presque rien, qu’elle essuya avec un gant de toilette.

-          Ah, Morphée…

Une fois remise, elle retourna le caresser mais, à peine posa-t-elle la main sur son chat, que la petite voix retentit de nouveau dans sa tête :

-          Louise, c’est Morphée… ou quel que soit le nom que tu me donnes. J’ai ouvert un canal en toi. Tu peux t’allonger, tu dormiras comme un chat.

Louise tripota sa petite blessure, de l’autre main.

-          Oui, c’est ça. Fais-en bon usage, ma Louise.

Elle caressa le chat, et se rallongea pour s’endormir. Vingt minutes plus tard, elle était fraîche et dispose, et se demanda si elle n’avait pas rêvé, alors elle porta une main à son front, et sentit la blessure. Tout cela était fort étrange mais, pour l’instant, elle devait travailler, alors elle retourna à son bureau. Son fils avait su la rassurer, et la sieste lui avait fait du bien. Aussi put-elle travailler tout l’après-midi, bien concentrée, au moins jusqu’au retour de Pierre, peu avant cinq heures. Elle lui donna son goûter, et en profita pour en prendre un elle-même, tout étonnée d’avoir faim. A côté, Morphée grignota quelques croquettes, avant de cligner des yeux devant Pierre et sa maman.

-          Oh Morphée, que tu es beau ! fit le petit garçon.

Louise crut percevoir un « merci » provenant du chat, et le regarda. Morphée cligna de nouveau des yeux, la regardant aussi. Elle ne résista pas, et alla lui faire une caresse. Il lui lécha la main, et la petite voix résonna encore une fois dans sa tête.

-          Je t’aime, tu sais.

-          Moi aussi, ne put s’empêcher de répondre Louise.

-          Tu miaules, maman ?

Confuse, Louise évita le regard de son fils.

-          On est tous gagas de ce chat…

-          Bravo, tu parles bien chat, fit Morphée quant à lui, rien que pour sa maîtresse.

Louise cligna des  yeux, et Morphée commença une toilette. Elle soupira, et termina son verre de jus de fruits. Pierre prenait son temps, pour manger son goûter. Il adorait les tartines de Nutella, et se faisait régulièrement des moustaches de chocolat, ce qui amusait toujours ses proches. Ça ne rata pas, et Louise se rassit pour approcher une serviette de son visage.

-          Je vais le faire tout seul, maman, fit Pierre, et il attendit d’avoir fini, pour s’essuyer ses moustaches.

Sa maman était de plus en plus amusée, et se dit qu’étant petite, elle était comme ça aussi, gourmande et soucieuse de son image après un repas. Enfin, Pierre se leva, alors elle en fit autant, et :

-          Tu as envie de jouer, vas-y. Tu feras tes devoirs avec tes sœurs.

-          Oh ! Merci maman ! Mais comment as-tu deviné ?

Louise voulut se toucher les tempes, pour signifier que c’était son instinct maternel qui parlait, mais son doigt alla sur la petite blessure ouverte par le chat.

-          Mais maman, qu’est-ce que tu as, là ? s’aperçut Pierre.

-          Oh, ce  n’est rien, un faux mouvement de Morphée, sans doute…

-          Mais c’est un coup de griffe ! Et ça ne te fait pas mal ?

-          Non, pas du tout, et Louise se tourna vers le chat, toujours occupé à se laver.

-          Hein, quoi ? fit-il, soudain distrait, et Louise éclata de rire.

A vrai dire, Pierre rit aussi. L’attitude de Morphée était sans équivoque, n’importe qui aurait pu comprendre ce qu’il voulait dire. Très sûr de lui, il reprit sa toilette avec méthode. Alors ses humains filèrent, l’un dans sa chambre, l’autre dans son bureau. Les filles rentraient en général ensemble, vers six heures. Les deux sœurs étaient proches l’une de l’autre, et Ambre regrettait de ne plus voir Jade, maintenant qu’elle était au lycée. Comme Louise s’y attendait, ses filles rentrèrent à l’heure habituelle. Et elles riaient, parlaient beaucoup et fort, comme de vraies petits Espagnoles. Louise perçut leur bonheur, et fut surprise d’en être capable, tout à coup. La vision était presque nette, dans son esprit. Cette fois, sa journée de travail était terminée. La course du midi n’avait plus lieu d’être, et Morphée les rejoignit dans la salle à manger. Dans le canapé, des tartines à la main, les filles riaient toujours. Pierre regardait ses sœurs, sans comprendre. Louise servit encore du jus de fruits, et les fit parler de l’école, pas uniquement des cours et des notes. Le professeur de physique du lycée d’Ambre en prit pour son grade, et elle-même rit beaucoup. La physique n’était pas leur partie forte…

-          Je préfère les SVT, comme papa ! déclara Ambre. Moi aussi, je serai dans la santé !

-          Mais pas chirurgien, pour pouvoir m’occuper de mes enfants. En fait, je ne sais pas, ajouta Jade en regardant sa mère. Grâce à toi, je suis bonne en espagnol… Au fait, tu pourras m’aider, maman ? Pour mes verbes irréguliers…

Cela fit sourire Louise. Finalement, elle les avait réussis, ses enfants… Mais elle ressentait quelque chose de bizarre, de nouveau. Tout à coup, elle avait l’impression de lire dans leurs pensées, comme dans un livre, comme jamais auparavant. Elle les aida dans leurs devoirs, allant au-devant de leurs difficultés. Elle en parla à son mari, le soir au lit.

-          C’est très bizarre, conclut-elle.

-          Oui, mais dis-moi ma chérie, que t’est-il arrivé, au front ? On dirait presque que tu as un troisième œil…

-          J’ai fait une sieste avec Morphée, il a dû avoir un geste inconsidéré…

-          Tu devrais lui couper les griffes.

-          Non, plutôt toi.

-          Miaou ?

-          Morphée ! s’exclama Thibault. Tu es un beau filou, mon chat !

-          Il n’a peut-être pas envie qu’on lui coupe les griffes… Et puis bon, ce n’est pas bien grave…

-          Méfie-toi quand même. Toi et Pierre en êtes très proches…

-          Bon, mais je te laisse lui couper les griffes. C’est toi l’homme de l’art, avec tes mains de chirurgien… Tu sais, ça ne me fait pas mal. Mais pas du tout.

-          Je verrai ça dimanche. Mais ça confirme ce que je pensais : tu es vraiment une perle…

-          Et Morphée, alors ?

-          Je ne crois que ce que je vois, ma chérie. Tu as toujours eu des gestes félins, c’est d’ailleurs ce qui me plaît chez toi. Une vraie mère chatte ! Ne t’inquiète pas.

-          Je ne suis pas inquiète, je m’interroge.

-          Ça ne fait rien. Dors bien… ma petite chatte.

Peu après, tous deux dormaient, et le chat était resté avec eux. Il se réinstalla dans le giron de sa maîtresse, et s’endormit à son tour.

La journée du lendemain amena de nouveau son lot de surprises, pour Louise. Dès le réveil, elle s’étirait tel un chat, encore plus que d’habitude, ce qui étonna son mari.

-          Tu as le même air que Morphée quand il se réveille…

-          Ah ?

Louise bailla sans retenue.

-          C’est curieux, reprit Thibault, j’ai rêvé de chats…

-          Et moi, d’un grand jardin, comme un coin de Paradis, où je courais ou montais aux arbres… J’admirais les oiseaux…

-          Alors c’était un beau rêve.

-          Oui. Et toi ?

-          Aussi. Je somnolais avec Morphée et ses copains, il y avait un beau chat noir… magnétique, très attirant.

Ils se regardèrent en souriant.

-          Si je ne devais pas partir au travail, je…

-          Demain, mon chéri.

-          Mais je serai d’astreinte… Un baiser, au moins !

Louise se laissa faire.

-          Tu es de plus en plus féline, fit Thibault en se levant.

Louise sourit, se leva à son tour. Cette fois-là, sans bien s’en rendre compte, elle mit plus de lait dans son café que d’habitude. Et dès le petit-déjeuner, elle devinait, ressentait les besoins de sa petite famille. Tous étaient étonnés, elle la première.

Pierre partit le premier, seul comme un grand, pour la plus grande fierté de son père qui, lui, partit le dernier.

-          Tu es moins fatiguée qu’hier, on dirait.

-          Oui, j’ai eu un sommeil réparateur.

-          Tant mieux. A ce soir, ma petite chatte.

-          A ce soir, mon Titi.

-          Comme Titi et ‘Ros minet ! s’esclaffa Thibault, ce qui fit sourire Louise.

Quand tout le monde fut parti, elle alla cajoler Morphée, qui ne demandait pas mieux.

-          Tu verras, ce sera une belle journée, dit la petite voix de la veille à Louise. Ça va aller tout seul.

-          Mais Morphée, que se passe-t-il ?

-          Je t’ai fait un cadeau, fais-en bon usage. Tu parles de mieux en mieux chat.

Louise caressa Morphée, pensive.

-          Un cadeau… mais je ne sais pas très bien ce que tu m’as offert.

-          Des caractéristiques félines. Je ne t’en dis pas plus.

-          Mais je suis humaine ! Non Morphée, je ne comprends pas.

-          Laisse-toi faire. Regarde-moi.

Et Louise et son chat échangèrent des regards, des clignements d’yeux. Enfin, Morphée se cala sur son coussin, montrant son ventre, sachant que cela le rendait irrésistible ; et effectivement, Louise craqua. Après ce long câlin, l’un reprit sa sieste, et l’autre  ses activités.

Les jours suivants, Louise était de plus en plus zen, mais aussi efficace en tout, en tant que mère de famille, qu’épouse, en professionnelle de la traduction de la langue de ses  ancêtres espagnols. Quand elle voyait son patron, à la fin de la semaine, elle lisait aussi dans ses pensées, et ajustait ses réponses, ses questions.

Un mois plus tard, Thibault rentra un soir un peu plus tôt que d’habitude, et s’exclama :

-          Oh ! ‘Ros minet !

Un chat noir se tenait, magnifique, attirant en diable, à l’entrée de la maison. Il voulut le caresser, et le chat lui faisait des grâces, se frottant à ses jambes, puis il rentra dans la maison avec lui et disparut.

-          Ma Louise ! Ma petite chatte ! Je suis là !

Louise parut enfin, ses longs cheveux noirs dénoués.

-          Mais que faisais-tu ? s’étonna Thibault.

-          Je lustrais mon poil, répondit doucement Louise, clignant des yeux, sourire aux lèvres.

-          Comment ?!

Et puis Thibault s’avisa que sa femme avait une brosse à cheveux à la main. Alors il sourit à son tour.

-          Mais pourquoi ? fit-il.

-          Parce que tu vas m’inviter ce soir au restaurant, n’est-ce pas ?

Thibault regarda sa femme, confondu.

-          M… mais… comment as-tu deviné ?

-          Tu oublies mes dons de télépathie… tu es mon mari, je peux même sentir tes envies à distance. Je savais que tu allais rentrer plus tôt.

Thibault tomba assis dans le canapé.

-          C’est drôle. Figure-toi que le chat de mes rêves était devant la maison, tout à l’heure…

-          Ah oui ?

Louise le rejoignit.

-          Eh bien, c’était peut-être moi…

 

© Claire M., 2019

Publicité
Publicité
Commentaires
B
...☺️🤗🌹
Répondre
l'imagination au pouvoir
  • Entrez donc dans l'un des royaumes de l'imagination, la mienne, où vous croiserez êtres fantastiques, âmes en peine, beaucoup de chats... Vous pourrez y trouver d'autres aventures, ou jouer avec moi, les mots... Le continent des lettres est si vaste !
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Archives
Publicité